"Ce qui est très amusant dans l’histoire c’est que le Mas Daumas Gassac est un domaine qui a été créé à travers surtout des concours de circonstance et non pas avec un projet économique totalement défini dès le début. On est dans les années 1970. Aimé Guibert, mon père, et Véronique Guibert, ma mère, viennent de se rencontrer, ils sont très amoureux et ils cherchent un lieu pour fonder une famille. A cette époque-là, mon père travaille à Millau, il est Aveyronnais, il dirige une entreprise familiale de ganterie de plus de 500 salariés. Ma mère, elle, habite sur Montpellier, elle est ethnologue spécialiste de la culture gaélique. Ils découvrent à travers leurs balades, ce mas, au-dessus d’Aniane, qui appartenait à la famille Daumas et qui est à l’abandon. Très rapidement, ils se renseignent et ils ont la possibilité d’acheter ce mas aux deux soeurs Daumas qui habitent au village pour leur retraite. Tout part de là. Autour du domaine, il y a quelques terres, quelques vignes mais ce n’était pas un domaine viticole en soi. Il y avait une cave et une cuve en poterie de Saint-Jean-de-Fos pour la consommation courante de l’année mais cela s’arrêtait là.
Autrefois, il y avait des moutons, des champs de blé, des mûriers pour les vers à soie, des oliviers et ils faisaient aussi de la coupe de bois ce qui était une richesse. Il y avait des charbonniers partout dans la forêt, ce qui entretenait la forêt puisque le chêne se régénère en étant coupé. Avec la propriété du mas, il y avait une ruine où nous sommes qui était le moulin. C’était un moulin à blé qui tournait à la force de l’eau. Il y avait une salle de machines avec des meules. Il y a la rivière qui sépare le mas d’un côté et le moulin de l’autre qui s’appelle le Gassac et cette rivière a sa résurgence pile à l’endroit du moulin (c’est pour ça qu’il a été construit là). Elle approvisionne le lieu en eau quasiment toute l’année.
C’est donc un endroit pour lequel mes parents ont eu un coup de coeur dès le départ puisqu’il offre des éléments naturels de toute beauté, c’est un endroit très sauvage, très calme, aux portes de Montpellier. Ils cherchaient à savoir quoi faire de ce domaine et de cette terre, d’autant que mon père avait cette folle idée de devenir agriculteur. C’est quelque chose qu’il aimait bien, bien qu’il soit à cette époque-là industriel dans le domaine du cuir, avec une activité qui allait de New-York à Londres, avec des bureaux dans ces grandes villes-là. Il avait une vision mondiale du commerce, mais en même temps il avait son potager à Millau, il aimait ça ! C’était vital pour lui. Il interpelle un ami à lui qui était professeur de Géographie à la faculté de Bordeaux qui s’appelait Henri Enjalbert. Il était Aveyronnais également.
Il vient au domaine passer une journée pour faire une étude des sols et en fin de journée il dit à mes parents qu’il est très surpris de ce qu’il vient d’analyser ici et que pour lui c’est un grand terroir propice, si on plante les cépages adaptés et avec du travail à faire un grand vin. Mes parents n’ont entendu que « grand vin ». Après la prononciation de ces mots-là, ils ont foncé. Très rapidement ils plantent de la vigne en 1972. Il y a vraiment eu à travers l’exemple du domaine et sa reconnaissance ensuite, une voie qui s’est ouverte et surtout, je pense, que cela a engendré une confiance en soi des vignerons qui par conséquent pouvaient se dire qu’il était complétement possible de faire de la qualité et qu’ils n’étaient pas voués à faire de la bibine qui, ceci étant, a été à une époque très rentable."